Face à la multiplication des cyberattaques, la protection des infrastructures critiques numériques devient une priorité absolue pour les États. Entre obligations légales et enjeux stratégiques, les acteurs publics et privés doivent redoubler de vigilance pour sécuriser ces piliers essentiels de notre société connectée.
Le cadre juridique de la sécurité des infrastructures critiques
La loi de programmation militaire de 2013 a posé les bases du dispositif français de protection des infrastructures critiques. Elle définit les Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) comme des organisations publiques ou privées dont l’arrêt pourrait gravement compromettre le potentiel de guerre, économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation. Ces OIV ont l’obligation de mettre en place des mesures de cybersécurité renforcées sous le contrôle de l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information).
En 2018, la directive NIS (Network and Information Security) a étendu ces obligations au niveau européen, en créant le statut d’Opérateurs de Services Essentiels (OSE). Cette directive impose notamment la mise en place de mesures techniques et organisationnelles pour gérer les risques, prévenir et minimiser l’impact des incidents affectant la sécurité des réseaux et systèmes d’information.
Plus récemment, le règlement européen CER (Cyber Resilience Act) adopté en 2022 vise à renforcer la cybersécurité des produits connectés en imposant des exigences de sécurité dès leur conception. Ce texte aura un impact majeur sur les fournisseurs d’équipements utilisés dans les infrastructures critiques.
Les secteurs concernés et leurs spécificités
Les infrastructures critiques numériques couvrent un large éventail de secteurs stratégiques. Le secteur de l’énergie est particulièrement sensible, avec les réseaux électriques intelligents (smart grids) et les systèmes de contrôle industriels des centrales. Une cyberattaque sur ces systèmes pourrait provoquer des blackouts massifs aux conséquences dramatiques.
Le secteur des transports est lui aussi fortement concerné, avec la numérisation croissante des systèmes de contrôle aérien, ferroviaire et routier. La sécurité des systèmes de navigation par satellite comme Galileo est également cruciale pour de nombreuses applications critiques.
Dans le domaine de la santé, la protection des données médicales et le bon fonctionnement des équipements connectés sont devenus des enjeux majeurs, comme l’a montré la cyberattaque contre les hôpitaux de Corbeil-Essonnes en 2022.
Le secteur financier n’est pas en reste, avec la nécessité de sécuriser les systèmes de paiement électronique et les infrastructures boursières face à des attaques pouvant déstabiliser l’économie. Les télécommunications constituent quant à elles l’épine dorsale de toutes les autres infrastructures critiques et doivent faire l’objet d’une attention particulière.
Les principales menaces et vecteurs d’attaque
Les infrastructures critiques font face à un large éventail de menaces. Les attaques par déni de service distribué (DDoS) visent à saturer les systèmes pour les rendre inopérables. Les rançongiciels cherchent à chiffrer les données pour obtenir une rançon, comme ce fut le cas lors de l’attaque contre Colonial Pipeline aux États-Unis en 2021.
L’espionnage industriel constitue une autre menace majeure, avec des acteurs étatiques ou criminels cherchant à dérober des informations sensibles. Les attaques sur la chaîne d’approvisionnement, comme celle ayant touché le logiciel SolarWinds en 2020, sont particulièrement redoutables car elles permettent de compromettre de nombreuses cibles via un seul point d’entrée.
Les vulnérabilités zero-day, inconnues des éditeurs, sont activement recherchées par les attaquants pour pénétrer les systèmes les mieux protégés. Enfin, la menace interne ne doit pas être négligée, qu’elle soit liée à la négligence ou à la malveillance d’employés ayant accès aux systèmes critiques.
Les mesures techniques de protection
Face à ces menaces, les opérateurs d’infrastructures critiques doivent mettre en place un arsenal de mesures techniques. La segmentation des réseaux permet d’isoler les systèmes les plus sensibles et de limiter la propagation d’une éventuelle compromission. Les pare-feux nouvelle génération (NGFW) et les systèmes de détection et de prévention des intrusions (IDS/IPS) constituent la première ligne de défense contre les attaques.
Le chiffrement des données sensibles, au repos comme en transit, est indispensable pour préserver leur confidentialité. La mise en place de solutions d’authentification forte, comme le multi-facteur, permet de réduire les risques liés au vol d’identifiants. Les systèmes de gestion des accès privilégiés (PAM) sont essentiels pour contrôler et auditer les actions des administrateurs sur les systèmes critiques.
La surveillance en temps réel des infrastructures, via des centres opérationnels de sécurité (SOC), permet de détecter et de réagir rapidement aux incidents. L’utilisation de l’intelligence artificielle et du machine learning améliore la capacité à identifier les comportements anormaux et les menaces émergentes.
Les aspects organisationnels et humains
La cybersécurité des infrastructures critiques ne se limite pas aux aspects techniques. La mise en place d’une gouvernance adaptée est essentielle, avec la nomination d’un responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) rattaché au plus haut niveau de l’organisation.
La formation et la sensibilisation de l’ensemble du personnel aux enjeux de cybersécurité sont primordiales. Les exercices de simulation de crise permettent de tester la réactivité des équipes et d’identifier les points d’amélioration. La mise en place de processus de gestion des incidents formalisés est indispensable pour réagir efficacement en cas d’attaque.
La gestion des risques doit être au cœur de la stratégie de sécurité, avec une évaluation régulière des menaces et des vulnérabilités. La veille technologique et réglementaire permet d’anticiper les évolutions et d’adapter en permanence les mesures de protection.
La coopération public-privé et internationale
La protection des infrastructures critiques numériques nécessite une étroite collaboration entre les acteurs publics et privés. En France, l’ANSSI joue un rôle central dans cette coopération, en fournissant expertise et accompagnement aux opérateurs. Le CERT-FR (Computer Emergency Response Team) assure quant à lui une veille sur les menaces et coordonne la réponse aux incidents majeurs.
Au niveau européen, l’ENISA (Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité) favorise le partage d’informations et de bonnes pratiques entre États membres. La directive NIS 2, en cours d’adoption, vise à renforcer encore la coopération et les obligations en matière de cybersécurité.
Sur le plan international, des initiatives comme le Paris Call for Trust and Security in Cyberspace cherchent à établir des normes communes pour un cyberespace plus sûr. La coopération entre CERTs nationaux est également essentielle pour faire face à des menaces de plus en plus globalisées.
La protection des infrastructures critiques numériques est devenue un enjeu stratégique majeur pour les États et les entreprises. Face à des menaces en constante évolution, une approche globale combinant mesures techniques, organisationnelles et coopération internationale s’impose. Seule une vigilance de tous les instants permettra de préserver ces piliers essentiels de notre société numérique.